Pietr le corbeau

Aujourd’hui je vais vous raconter l’histoire de Pietr le corbeau, célèbre parmi les célèbres dans la communauté des corneilles et des corbeaux. Pietr était né dans un petit village de Russie, posé au milieu d’immenses plaines. Les champs s’étendaient à perte de vue et la famille de Pietr vivait dans un grand arbre à l’orée du village. La saison la plus difficile pour eux était l’hiver, lorsque tout semblait ralentir et s’endormir sous un lourd édredon de neige. Les hommes restaient bien au chaud dans leurs maisons alors que Pietr et sa famille se serraient les uns contre les autres dans le grand nid fait de brindilles et de mousses.

Pietr était un jeune corbeau aventureux, cela se voyait d’autant plus que ses deux frères étaient eux d’un naturel plus prudent. Lorsque Pietr leur proposait d’aller se réchauffer les pattes près d’une cheminée des hommes, les deux frères tentaient de le décourager en lui parlant des fusils que les hommes n’hésitaient pas à employer. Mais Pietr ne les écoutait pas.
Un jour, alors qu’il s’était posé près d’une fenêtre, il vit une drôle de scène à l’intérieur. Une petite fille fabriquait un oiseau, un oiseau qui lui ressemblait à lui Pietr, comme deux gouttes d’eau. Peut-être vous demandez-vous comment un corbeau savait à quoi il ressemblait ? Et bien Pietr était non seulement aventureux mais aussi très curieux. Il s’était souvent observé dans les reflets de la rivière qui coulait en été et aussi dans la glace qui la givrait en hiver. Il savait qu’il avait le plumage d’un noir brillant avec des reflets bleus et verts et surtout qu’il avait deux taches en forme de couronnes sur ses ailes. La petite fille était justement en train de peindre ces deux taches sur le tissu qui recouvrait les ailes de son corbeau. Pietr se déplaça légèrement pour mieux observer sans être vu. La petite fille était seule dans la pièce, elle se concentrait maintenant pour rembourrer le corbeau et finir les dernières coutures. Enfin, elle se leva avec la créature dans les bras et se mit à danser autour de la table en faisant sembler de la faire voler.

Le soir, niché auprès de sa famille, Pietr ne cessait de se poser des questions. Pourquoi créer un faux corbeau, et pourquoi un qui lui ressemblait à lui ? Le lendemain il décida de retourner observer cette petite fille. Il lui fallait être prudent car les hommes ne les aimaient pas beaucoup, ils pensaient que les corbeaux portaient malheur et leur volaient toutes leurs graines. Quelle idée !

Pietr se percha au plus haut du plus grand arbre du village et attendit de voir si la petite fille sortait. Il attendit et attendit, ses pattes commençaient à se figer de froid lorsqu’il l’aperçut enfin. Emmitouflée dans un grand châle de laine, elle courait vers la rivière en faisant voler le double de Pietr en riant aux éclats. Il s’envola d’un puissant battement d’ailes et la suivit d’en haut. Arrivée au bord de la rivière gelée, elle s’arrêta et, levant les yeux au ciel, aperçut Pietr et lui fit signe de venir la rejoindre. Il se méfiait, mais sa curiosité l’emporta. Il vint donc se poser à quelques mètres d’elle.

Elle prit dans sa poche quelques graines et les jeta devant elle. « Viens joli oiseau, viens manger »

« Je ne te ferai pas de mal. Viens »

« Je t’observe souvent tu sais, surtout lorsque tu viens ici te regarder dans la rivière. Tu es le plus beau corbeau que je connaisse. »

A entendre cette phrase Pietr fit un bond en arrière, une vieille histoire de flatterie qui n’avait pas été à l’avantage d’un de ses ancêtres lui revenait vaguement en mémoire, une histoire de fromage lui semblait-il.

La petite fille insistait d’une voix très douce, et puis les graines étaient tentantes. Il avança avec prudence et attrapa la graine la plus proche de lui. Pendant qu’il la gobait, la petite fille se mit à chanter, un vieux chant traditionnel russe. Pietr leva la tête et l’écouta avec attention. Il fut comme envouté par cette berceuse et se laissa approcher et même caresser par la petite fille.

« Voilà, c’est bien. Tu vois, je ne te veux pas de mal. » Elle lui caressait le dessus de la tête, le dessus et le dessous des ailes, et c’était très agréable. Pietr se laissait faire, tout en attrapant de temps en temps une graine. La petite fille s’arrêta pour aller chercher le faux corbeau. « Regarde, je l’ai fait comme toi. Bien sûr il n’est pas aussi beau que toi et il ne sait pas voler, mais il te ressemble, tu ne trouves pas ? » Pietr regarda la marionnette d’un mauvais oeil, il tenta même de lui donner des coups de bec mais la petite fille l’en empêcha. « Tu es jaloux ? » dit elle en riant. « Ne crains rien, il n’est pas vivant. Il est comme les épouvantails que mon père met dans les champs, il ne peut pas te faire de mal. » Ah oui, les épouvantails, cela devait être ces faux hommes qui leur avaient fait peur au début. Aujourd’hui, sa famille et lui s’en servaient comme perchoir.

« Si tu as faim, je viendrai ici tous les deux jours t’apporter des insectes et quand je pourrais des graines. Père dit que nos greniers à graines sont infestés par les charançons et que si nous ne faisons rien nous n’aurons plus de graines à semer au printemps. »

Pietr eut alors une idée qu’il exposa le soir même à sa famille. Il eut du mal à les convaincre mais son père finit par accepter et alla l’expliquer aux deux autres familles de corbeau du village. Ensemble, la nuit venue, ils s’envolèrent vers les deux greniers à grains. Pietr se servit de son bec pour ouvrir les volets de toit et les corbeaux firent ce pour quoi ils étaient venus.

Le lendemain, le village était en émoi. « C’est un miracle » disait le chef. « Les charançons ont disparus, les graines sont sauvées. » Tout le village se précipita vers les greniers pour voir le miracle de leurs propres yeux. La petite fille y arriva en dernier et, au moment où elle s’apprêtait à repartir, vit la plume d’un noir brillant aux reflets bleutés accrochée à une planche. 

« Ce sont nos amis les corbeaux qui nous ont sauvés » s’écria-t-elle. « Regardez, voilà une de leurs plumes. » Elle expliqua alors à son père l’amitié qu’elle avait nouée avec le jeune corbeau aux couronnes sur les ailes, et qu’elle était certaine qu’il était à l’origine du miracle.

Pour en être sur, le chef du village fit exposer sur la place un grand tas de graines auxquelles il mélangea des insectes. Quelle ne fut pas la surprise pour les habitants de voir les corbeaux venir et trier les graines, ne gardant pour eux que les insectes. Face à ce deuxième miracle, le village décida de récompenser les corbeaux. Désormais, chaque hiver les oiseaux protègent les graines des charançons et autres insectes et chaque printemps le village offre une partie des graines aux oiseaux.

Pietr vécut heureux près de sa famille et de la petite fille et devint célèbre, le seul corbeau qui réussit à faire vivre sa communauté et celle des hommes en harmonie.

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